Méditation Électorale


Voici un texte qui ne date pas d’aujourd’hui : il a été publié le 1er mai 1928 (année où se déroulaient des élections législatives en France) dans « Le Messager de Sainte-Croix », le journal paroissial de La-Haüt dont un lecteur d’Oloronblog a bien voulu me confier toute la collection 1913-1937. Au-delà des questions religieuses, « Le Messager » aborde, certes sous l’angle « bien-pensant » des sujets de société. À l’image de cette « Méditation électorale » où le rédacteur, curé de la paroisse, disserte sur le suffrage universel. Lu avec nos yeux d’aujourd’hui, le « suffrage universel » de 1928 n’a rien d’universel. Les femmes, soit 50% de la population en âge de voter sont encore à époque privées de ce droit. Voici le texte (pour éviter toute poussée de tension, j’invite les mécréants qui pourraient se compter parmi les lecteurs du blog à faire l’impasse sur la conclusion de ce texte) :

Dix heures — Ciel brumeux et noir. Sur la place de la mairie, plus laide encore que de coutume, des groupes de votants vont et viennent presque silencieux. En descendant le grand escalier, j’ai croisé des gens du Palais : avocats, avoués, etc. ; salut aimable, légèrement ironique. Ils ne semblent pas avoir une foi exagérée dans l’acte qu’ils vont accomplir ! Au retour, à quelque dix mètres devant moi, marche lentement un homme que j’ai vu voter il y a un instant. Je crois, Dieu me pardonne, qu’il titube un peu ; il parle seul, tout haut. Je le reconnais : c’est un brave homme qui ne sait ni lire ni écrire… Sa voix pourtant s’est mêlée dans l’urne à celle de ces messieurs de tout à l’heure, à la mienne. Elle a même valeur….

Il y a de ces pensées qui ressemblent à un coup qu’on recevrait sur la nuque, et qui brusquement vous assomment. Baissant la tête, et montant lentement les lacets du Biscondau, je monologue à mon tour.

« Il est certain et il est de foi, me dis-je, que l’autorité civile comme l’autorité familiale ou ecclésiastique, vient de Dieu. Mais Dieu n’intervient pas directement pour indiquer quel sera, le dépositaire de cette autorité ; pas plus qu’il n’intervient dans la transmission de la vie. Il laisse faire les hommes. Quand ils ont choisi leurs chefs, l’autorité appartient à ceux qu’ils ont choisis ; ils Lui doivent obéissance. Mais quel est le moyen le plus raisonnable de désigner ces chefs ? C’est la grosse question.

Il y en a deux, pas davantage. Tour à tour les peuples les ont adoptées… L’hérédité ou l’élection. Ou bien le peuple confie à une famille la direction de ses destinées pour toujours, et c’est la monarchie, ou bien il se réserve d’élire lui-même, à certaines époques, ceux qui le gouvernent : c’est le suffrage universel.

Quoi est le meilleur de ces deux moyens ?

 Mon brave type, titubant, tanguant de plus en plus finit par s’asseoir sur une pierre au bord du chemin. Je continuai.

« C’est vrai, la voix de ce pauvre dia­ble vaut la mienne, et c’est tout de même un peu vexant. Mais pourtant-… » et je m’arrêtai sous le coup d’un souvenir his­torique inattendu.

« Est-ce que l’Eglise n’a pas pratiqué à ses débuts le suffrage universel, à un moment bien solennel, lorsqu’il s’agit de nommer un apôtre pour remplacer Judas ? Il y avait là, disent les Actes, cent vingt disciples, et la Sainte Vierge y était aussi. Tous votèrent… et peut-être Elle aussi. Et la voix du dernier des disciples valut la sienne ». J’envoyai du fond du cœur une prière reconnaissante à la Vier­ge du Bon Conseil…

« Et puis, le Pape est nommé à l’élec­tion ; souvent dans l’église, le vote inter­vient à l’égalité des voix….

« Tout cela est vrai ; et les nations qui n’ont vécu que de suffrage universel, Athènes, Rome, n’étaient pas les moins civilisées. Plus tard, l’empire allemand eut ses électeurs héréditaires, c’est, vrai. La Pologne nommait ses rois à l’élection, ce dont elle a, d’ailleurs, failli mourir. »

Le suffrage universel est une méthode acceptable, c’est certain. Mais l’autre mé­thode, l’hérédité vaut-elle mieux. Hé ! Bonnes gens cela dépend du hasard. Il est rare que le fils ressemble à son père ; il arrive souvent que la race s’éteint ou tombe en quenouille. Et ce sont alors des guerres de Cent ans, comme en France, des guerres des Deux-Roses comme en An­gleterre, les guerres d’Italie au XVIe s. Sans aller plus loin, l’Espagne a été dé­chirée durant tout le XIXe siècle par la guerre Carliste qui n’est qu’une question d’hérédité. Qu’est-ce à dire ?

J’arrivai au haut du Biscondau ; il fallait conclure, car la cloche m’appelait pour l’Office.

Conclure ! C’est bien simple. Nul moyen humain n’est parfait. Le suffrage univer­sel a ses tares ; l’hérédité a les siennes. D’ailleurs, on a beau avoir ses préféren­ces théoriques, il faut s’adapter au temps où l’on vit. Or nous avons le suffrage uni­versel pour bien longtemps encore. Il faut s’y adapter.

Juste en ce moment, une armée de petits garçons vient se jeter sur moi : « Bon­jour m’sieur le Curé… Nous avons fait à l’élection… — Ah!…— Encore un coup sur la nuque ! La conclusion, la voilà.

Il faut que les électeurs soient instruits de leurs devoirs, qu’ils aient des habitu­des morales saines et droites, donc chré­tiennes.

Et alors ! C’est le devoir, le grand, l’unique du curé qui s’impose de plus en plus. Élever chrétiennement et fortement la jeunesse.

Alors, le suffrage universel est-il une force ou une faiblesse de notre démocratie ? Une force en ce qu’il affirme le principe de l’égalité républicaine. Une faiblesse en ce qu’il peut offrir à certains partis ou politiciens la tentation de manipuler une partie de la population moins au fait des réalités politiques. Question subsidiaire : Emmanuel Macron aurait-il été élu président si cette élection avait été, comme cela était le cas jusqu’en 1965, réservée aux « grands électeurs » (80 000 parlementaires, conseillers généraux et conseillers municipaux) ? Mais là, nous nous éloignons d’Oloron.

7 commentaires sur « Méditation Électorale »

  1. La Vérité serait-elle d’essence divine ? 🙂
    Je crois que le suffrage universel, donc de fait la démocratie car c’est son seul critère, à tel point que n’importe lequel pays dictatorial qui possède malgré tout une urne dont il détient la clef tout seul, est considéré comme une démocratie… La Russie est ainsi une démocratie, et Poutine un grand démocrate…
    Il ya eu sûrement une courte période ou ce système était le plus sain. Il ne l’est plus. L’avénement des médias, des réseaux sociaux, ont bouleversés la donne. Qui dit élection, dit manipulation de l’opinion.
    J’entendais notre premier ministre aujourd’hui dire à propos des accords à venir sur la loi du travail ; qu’aucune manifestation ne serait légitime puisque les français avaient voté pour un candidat qui avait cette réforme dans son programme, et donc, que nous n’avions d’autres choix que d’accepter… Il n’aura pas fallut longtemps pour ré écrire l’histoire !
    Pour reprendre le fil de la méditation de ce curé, nous avons l’élection, mais nous avons aussi l’hérédité ; non pas incarnée dans une famille, mais dans une caste oligarchique. Nous avons créé un monstre. Il est temps d’imaginer autre chose. Si notre système est périmé par l’évolution, alors il faut chercher dans cette évolution ce qui peut rétablir l’équilibre. « Chaque époque rêve la suivante » Michelet.

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  2. Ça me rappelle (excuser, c’est un peu hors sujet !) Les débats, au deuxième tour ! Faire barrage au FN c’est valider la politique de Macron! Voilà, ce monsieur est élu et toutes contestation est eligitime. Qui lui rappelera que tout ses électeurs n’étaient pas des fan de son programme ?
    Bon le débat est clos, et une autre actualité électorale est là !!

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    1. comment ça hors sujet ? 🙂 On est en plein dans la manipulation et ça a marché! comme dirait Coluche: « j’ai les noms! » Macron est une lessive dont on a fait que changer le packaging . On a aussi les noms des investisseurs ou les bookmakers qui ont parié sur cet yearling. Ils sont propriétaires de l’écurie.

      comme je disais encore à ma femme en ptitdéjeunant ce matin devant bfm: « heureusement chérie que nous ne sommes pas retraités coincés dans notre hlm regardant ce triste spectacle de derriere les rideaux avec l’horloge du salon qui dit oui qui dit non et que nous pouvons cultiver notre jardin et regarder le Bager »

      comme des millions de gens je suis écoeuré, notamment pour mon pays.L’homo électus est bien gentil quoiqu’on dise…

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    1. Oui, je confirme : la 1ère élection du président de la République au suffrage universel a eu lieu en 1965. 1962, c’était l’année du référendum qui a inclus cette disposition dans notre Constitution. D’une certaine manière, j’ai raison… et vous n’avez pas tort

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